Rencontre avec Blutch, auteur de bandes dessinées

5 septembre 2024
Blutch

Ancien élève de la Haute école des arts du Rhin et actuelle grande figure de la BD hexagonale. Héros du dessin glorifié partout, ici – au MAMCS, au Musée Tomi Ungerer et à L’Aubette 1928, en 2019 et sur un futur tramway – ou ailleurs – jusqu’à ce début d’année au Cartoonmuseum de Bâle. Grand prix du Festival international d’Angoulême (2009), Blutch, enfant du pays et parrain du projet Lire notre monde, est auteur du dernier Lucky Luke. Entretien à Strasbourg, sa ville.

Blutch, l’homme qui dessine plus vite que son ombre

Casper Kinker, un des enfants des Indomptés, ressemble beaucoup au Petit Christian Hincker. Dans le tome 2, Petit Christian est d’ailleurs habillé en cow-boy, façon Lucky Luke. Qui est Casper ?

Casper est inspiré de mon fils cadet… et comme nous nous ressemblons, lui et moi, ce personnage se rapproche physiquement du Petit Christian. Néanmoins, ayant un TDAH (Trouble Déficit de l’Attention avec ou sans Hyperactivité), mon modèle a une personnalité bien à lui. Dans la première mouture des Indomptés*, Lucky Luke était confronté au seul Casper. C’est un personnage singulier qui mène une vie parallèle à celle des autres protagonistes.

Il est très touchant dans votre BD.

Oui et il l’est dans la réalité également. Je suis en train de lui lire la bande dessinée : il comprend que ce petit garçon dessiné, c’est lui. Je voulais le confronter à son frère et sa sœur afin de décupler les situations de comédie. Certaines répliques de Rose sont directement tirées de mon quotidien : Les Indomptés est un récit intime, mais de fiction ! On croise rarement des enfants dans les Lucky Luke.

 

Couverture

Il y a Billy the Kid…

Non, même pas car le Kid est un ado. Par contre, dans Le Despérado à la dent de lait, Lucky Luke doit amener un gamin insupportable chez le dentiste. Le cowboy solitaire devient irritable, impatient, cette responsabilité dépasse ses compétences ! Les Indomptés est une sorte de prolongement de cette histoire courte.

Les parents des trois indomptés ne sont pas tendres : ils se servent de l’inconscience de Casper pour le faire chercher un trésor enfoui…

Ils ne sont pas tendres, mais nous sommes très loin de la cruauté des contes comme Le Petit Poucet et Hansel & Gretel ou des films d’animation comme Les aventures de Bernard & Bianca. Notons que mon modèle est très à l’aise physiquement : il ne connait pas la crainte du vertige et n’a pas d’inhibition. L’impossible est à sa portée.

Je fais partie de cette génération d’auteurs bibliophiles : je ne suis pas un pionnier, je viens après. Alors je réinterprète, je rejoue des airs du répertoire, je reprends des standards.

Blutch

Qu’il s’agisse des Indomptés, de votre version de Tif et Tondu (Mais où est Kiki ?) ou de Variations où vous faite la relecture d’icônes de la bande dessinée, vous n’avez crainte de vous confronter à des monstres sacrés. D’où vous vient cette assurance, cette insolence ?

Dès la seconde moitié des années 80, je reprenais Tintin au Tibet pour des parutions dans Fluide Glacial. Il a une vingtaine d’années déjà, j’ai dessiné un Cavalier Blanc (Lucky Luke) numéro 2…

Je fais partie de cette génération d’auteurs bibliophiles : je ne suis pas un pionnier, je viens après. Alors je réinterprète, je rejoue des airs du répertoire, je reprends des standards. Picasso a rejoué Velasquez ou Manet et Jasper Johns Cézanne, je pourrais en citer des dizaines... Pour Lucky Luke, j’essaye d’être fidèle à la partition, de respecter le ton, le tempo. De raconter l’histoire au niveau des personnages, sans casser les cadres. Pourquoi ? Uniquement pour le plaisir ressenti. Il s’agit d’une passion enfantine qui perdure. Je n’ai pas toujours de “matériel en magasin”, de choses à raconter, mais j’ai toujours envie de dessiner.

On trouve des figures de cowboys et d’indiens dans La Mer à boire*… 

Ce livre est placé sous le signe d’Hergé. C’est une sorte de reprise de Tintin en Amérique avec des personnages qui se déguisent, se griment. Ils mettent des chapeaux : pour moi, c’est l’entrée dans la fiction comme quand Mastroianni porte son couvre-chef dans Huit et demi de Fellini.

Vous êtes passé par les bancs de l’École des Arts déco (HEAR) : qu’y avez-vous appris ?

À me défaire de la BD ! Cette époque a été très féconde : mes camarades m’ont fait découvrir d’autres domaines. Ils et elles m’ont m’ont fait grandir.

Votre bibliographie est impressionnante : vous dessinez plus vite que votre ombre ?

Oui, mais je reprends tout le temps ! Je ne fais pas mouche du premier coup de crayon, mais au dixième. Quoiqu’il m’arrive, in fine, de retourner à ma première ébauche…

Extrait 3

* Les Indomptés, hommage à Lucky Luke d’après Morris par Blutch, est paru fin 2023 chez Dargaud

* La Mer à boire est sorti en 2022 aux Éditions strasbourgeoises 2024. Au courant de l’année, Blutch sortira, toujours aux Éditions 2024, une suite, un "prolongement" de cet ouvrage.

À noter : la Fête de La Grande Coïncidence, organisée par les Éditions 2024, le 27 avril à Garage Coop 

 

Top 5 des œuvres inspirantes de Blutch

  • 1. "Illuminations, recueil de dessins et collages de Saul Steinberg (1914-1999), une référence !"
  • 2. "L’album The Essence of George Russell du pianiste éponyme : une symphonie jazz électrique de 1967."
  • 3. "Chien blanc, autobiographie masquée de Romain Gary, éditée en 1970. Chez Romain Gary / Émile Ajar, tout est jeu de masques et de miroirs."
  • 4. "Anguille et Rouget, nature morte (1864) de Manet qui m’inspire beaucoup."
  • 5. "J’invite tout le monde à lire L’Empereur Smith, un Lucky Luke de 1976 qui raconte magnifiquement le comportement humain. Goscinny savait aligner les chefs-d’œuvre." 

Œuvres inspirantes de Blutch

Découvrez un extrait de la BD "Les Indomptés" de Blutch

Emmanuel Dosda

Journaliste

"Je boxe avec les mots"