Le manga pour tous ! Interview de Fabrice Dunis et Samuel Van der Veen

À elle seule, la librairie Le Camphrier illustre le succès du manga en France. Installée depuis mars 2023 dans l’hyper cœur de l’hypercentre strasbourgeois, place Kléber, la librairie dédiée aux mangas propose pas moins de 28 000 références sur 300 m2. Une belle histoire depuis ses quelques mètres carrés rue Thomann, puis rue de Pâques. Car le marché du manga est prolifique : avec 350 nouveautés par mois, il y a de quoi lire ! "En 2019, année de référence, on en comptait 150.... Depuis le COVID, nous avons un nombre incroyable de ventes !", confirme Fabrice Dunis, créateur de la librairie. Comment expliquer ce phénomène ? "Les parents des lecteurs et lectrices de mangas sont de la génération Dorothée... Ils ne peuvent décemment pas dire que le manga, c’est nul ! Pendant le confinement, il fallait occuper les jeunes. Les parents se sont remis dans leur peau d’adolescent·es en regardant avec elle et eux Naruto ou Dragon Ball."

Les mangas, un succès en France

L’intérêt du manga, c’est au contraire de s’adresser à tous et toutes et d’évoquer tous les sujets, du plus futile au plus profond. "Les mangas peuvent traiter de la place de la femme dans la société, du harcèlement scolaire, de l’éducation des enfants. Naruto est par exemple l’archétype de l’orphelin et de l’isolement, commente Fabrice Dunis. Avec Cat’s eyes ou Candy, les filles sont devenues des héroïnes et pas des cruches dans les animés ! Dans la vie, elles se sont dit "Enfin on me considère". 70% de nos client·es sont des filles, et 75% des auteurs et autrices, des femmes."

Divisés en deux genres Shojo (filles) et Shonen (garçon), les mangas "ont des milliers de sous-genre à l’instar des romans, précise Fabrice Dunis. Nous demandons à nos client·es ce qu’ils et elles lisent comme roman, ce qu’ils et elles regardent comme séries, pour pouvoir les orienter. Tout est possible. Nous avons même un rayon qui propose une adaptation des textes classiques de Zola, Dostoïevski, Kafka..."

Certains mangas sont écrits de gauche à droite

La lecture de droite à gauche est-elle un frein ? "C’est un sens de lecture finalement assez naturel, comme lorsque l’on commence un magazine par la fin", estime Fabrice Dunis. Samuel Van der Veen, auteur strasbourgeois de 23 ans, primé à deux reprises au Magic international manga contest de Monaco, n’y voit pas de contraintes, mais a tout de même décidé d’écrire son dernier roman graphique, Van Gogh, le dernier tableau, de gauche à droite. "Mon livre répond à tous les codes du manga, avec beaucoup de planches, du noir et blanc, une narration cinématographique, mais nous avons décidé avec mon éditeur de l’imprimer dans un plus grand format et de l’écrire dans le sens européen, car je vise un public averti et intéressé par l’artiste. Cela leur facilite la lecture."
Enfin, le Japon offre sa part d’évasion. "C’est le nouveau pays fantasmatique des Français·es, appuie Fabrice Dunis. Le Japon nous a apporté les jeux vidéo, les nouvelles technologies, les animés, les mangas, les sushis... Le pays a voulu enterrer son image nazie d’après-guerre en développant le "Cool Japan". Et ça a marché !"
Sur fonds de geisha, samouraï et ninja, le Japon fait aujourd’hui rêver des millions de lecteurs et lectrices français·es... On s’y met ?