Journaliste, critique littéraire et présentateur de La Grande Librairie sur France Télévisions, Augustin Trapenard a tourné l’une de ses émissions à la Bibliothèque nationale universitaire en mai dernier. De retour à Strasbourg en septembre dans le cadre des Bibliothèques idéales, il nous parle de sa passion pour le livre et de son engagement en tant que parrain de Bibliothèques sans frontières.
Strasbourg a été désignée Capitale mondiale du livre par l’Unesco pour cette année. Cette nomination fait-elle sens pour vous ?
« C’est une grande fierté qu’une ville française soit nommée Capitale mondiale du livre, et tout particulièrement Strasbourg, symbole européen. C’est pour moi une fierté, une reconnaissance, un choix extrêmement judicieux. Et c’est la raison pour laquelle j’ai décidé d’enregistrer une émission complète de La Grande Librairie à Strasbourg, consacrée aux enjeux et à la place du livre en Europe. Je dois dire que j’ai été impressionné par l’engagement, l’efficacité, et la passion qui animent l’équipe dédiée à Capitale mondiale du livre. »
Était-ce la première fois que vous délocalisiez l’enregistrement de l’émission ?
« Quand j’ai commencé La Grande Librairie, mon projet était de la délocaliser deux-trois fois par saison. Le service public a peu de moyens, mais c’est un engagement fort de France Télévisions. La Grande Librairie est la seule émission en prime time dédiée à la littérature, vous ne trouvez son équivalent nulle part ailleurs dans le monde, nous devons être à la hauteur. Nous étions au Mucem à Marseille, à la Bnu à Strasbourg, de très grandes institutions culturelles, et c’était merveilleux. À Strasbourg, j’ai pris soin d’inviter un auteur strasbourgeois, Olivier Guez, et bien sûr Abd al Malik. C’était une émission d’une grande richesse. »
En plus d’être journaliste, vous êtes parrain depuis 2018 de l’ONG Bibliothèques sans frontières (BSF). Un parrain sur tous les fronts !
« Lorsque son président Patrick Weil m’a contacté, je lui ai tout de suite dit que si j’acceptais, ce n’était pas pour faire un post Instagram ou la soirée de gala d’une ONG, mais que je souhaitais me rendre sur le terrain pour palper la précision de l’action.
Dès ma première visite à Palerme dans un camp de réfugiés, j’ai été impressionné par la créativité de l’association, et je me suis engagé comme « parrain éternel ».
Pendant des années, j’ai dit que la culture changeait le monde. J’en avais l’intuition, mais pas la preuve. Bibliothèques sans frontières se donne pour mission de promouvoir l’éducation, la culture, la lecture, en France et dans le monde entier. Depuis six ans et demi, j’ai effectué une trentaine de missions à l’étranger, en plus d’aller sur le terrain en France. Cela m’a permis d’avoir la certitude de l’efficacité de ses actions, que ce soit dans les quartiers Nord de Marseille, dans le Nord de la France où BSF mène une action contre l’illettrisme, dans ses micro-bibliothèques, mais aussi dans ses camps de réfugiés, au Burundi, en Colombie, au Bengladesh, aux Etats-Unis, en Ukraine... Chaque programme est fait sur mesure pour les populations avec des médiateurs et médiatrices locales. Cela fait sens. »
On peut donner pour exemple l’opération « Mon sac de livres » que BSF a notamment organisé à Strasbourg, avant l’été.
« J’aime beaucoup cette opération qui se développe dans les différentes Académies. C’est un programme d’accueil d’enfants réfugié·es par des enfants de leur âge. Ces dernier·es ont pour mission de les accueillir avec un sac personnalisé de cinq livres, et cela fonctionne extrêmement bien. J’y ai assisté plusieurs fois, c’est très émouvant. Je suis convaincu que le livre crée du lien. »
Mais comment donner l’envie à des populations éloignées de la lecture d’ouvrir un livre ? Je pense notamment aux adolescent·es biberonné·es aux écrans...
« Le livre est en effet un objet qui peut faire peur, il existe peut-être une frontière symbolique. Pour nous, l’objectif n’est pas de démocratiser le livre, mais qu’il soit partout. Quand on met un livre dans les mains d’un enfant, il se précipite dessus. Quand on montre le plaisir et la joie de lire, on suscite l’envie. C’est un métier de choisir les livres, et Bibliothèques sans frontières s’attache à répondre aux besoins des différents publics. Le livre peut soutenir la compétition face aux consoles et aux écrans. Nos bibliothèques sont des médiathèques innovantes et mobiles, on y trouve des livres, des jeux de société, des tablettes, du matériel pour faire de la radio, des activités créatives. C’est un espace social où l’on se retrouve, où l’on partage. »
L’objectif n’est pas de démocratiser le livre, mais qu’il soit partout
Augustin Trapenard
On pourrait croire pourtant que l’accès au livre et à la culture est facilité en France.
« Évidemment en France nous avons énormément de chance, mais il ne faut pas oublier qu’on est le pays où l’illettrisme est le plus fort des pays d’Europe occidentale. Ce n’est pas pour rien que le président Macron a fait de la lecture une cause nationale l’an dernier. J’ai été marqué par ce papa d’une quarantaine d’années qui accompagnait sa fille de six ans dans l’une de nos micro-bibliothèques, et qui m’a dit qu’il n’avait rien à faire là car il ne savait pas lire. Je reviens à cette idée qu’il existe une frontière symbolique qui fait peur. C’est pourquoi BSF s’attache à ouvrir les espaces pour qu’ils et elles se sentent chez eux. Nous travaillons d’ailleurs en lien avec les bibliothèques municipales qui font un formidable travail. »
D’où est née chez vous cette passion pour le livre ?
« Je viens d’une famille nombreuse, avec des spécialités qui se dessinaient chez chacun de nous. J’ai dû trouver un espace qui n’était pas pris par mes grands frères et je me suis très jeune saisi de la lecture comme un refuge, un espace qui me permettait d’être bien, moi qui étais un enfant un peu différent, un peu seul. Cela me reposait. C’est aussi lié à la découverte de textes qui m’ont marqué très vite, comme la Comtesse de Ségur. »
Avez-vous un message particulier à transmettre à ceux qui ne lisent pas ?
« Je me méfie des injonctions qui font passer le message pour une petite leçon. Je crois en la monstration plus qu’en la démonstration : c’est pour cela que je me rends sur le terrain les week-ends et durant mes vacances. Quand on s’assoit avec un livre à côté d’un enfant, d’un·e adolescent·e, et qu’il voit la joie que cela nous procure, il finira par le faire. »