Un temps fort du programme Lire notre monde a été marqué lors du dernier weekend de juin 2024. La figure du point – "." – était en vedette lors de cette 5ème édition de la Fête des Imprimeurs à travers ses visuels, mais également ses savoureux jeux de mots.
Ce projet est porté par l’Espace Européen Gutenberg, une association riche de ses passionné·es œuvrant à la valorisation des métiers de l’imprimerie, de la typographie et du graphisme. Malgré une météo quelque peu déroutante, l’ambiance était au rendez-vous, et s’offrait aux visiteurs et visiteuses sous divers angles, sous l’œil protecteur de la statue de Gutenberg.
Impression et éveil des sens
C’est avant tout un parcours sensoriel que dessine le cœur du programme. Des ateliers démonstratifs et participatifs ne manquent pas de stimuler nos perceptions. Certains sons, comme l’étrange musique d’une presse mécanique typographique Heidelberg Originale, nous plongent d’emblée dans une atmosphère nostalgique et intrigante. D’autres mécanismes établis sur de grandes structures comme la presse lithographique ou encore la presse taille-douce font mouche et attirent le regard par leur indéniable cachet.
Des artistes aux mains noircies par l’encre dévoilent leurs procédés avec entrain. S’ajoute également l’odeur caractéristique des émulsions utilisées en sérigraphie pour transférer l’encre sur le support. Ici, les amateurs et amatrices de broderie se sentent soudain familiers et familières avec les pratiques de reliure datant de l’Empire Byzantin ou encore de l’époque médiévale. D’autres préfèrent créer un texte façon Tetris en assemblant des caractères en relief à l’aide d’une belle équipe de typotes.
Dans un autre espace, les âmes artistes peuvent exprimer leur créativité dans des ateliers d’enluminure et de dessin. Les féru·es de nouvelles technologies sont enfin invité·es à s’initier à la risographie, à l’impression additive ou au design graphique. L’image du doigt pointé, illustrant cette édition, a même été réalisée par l’intelligence artificielle, attestant d’un désir d’inclusivité technologique dans les nouvelles pratiques graphiques.
Pour ne surtout pas délaisser le palais, une buvette propose une dégustation de bière et de vin aux visuels conçus en cohérence avec la typographie et l’esprit de l’événement. Bref, il semble difficile de s’ennuyer à la Fête des Imprimeurs…
La découverte d’un univers passionnant
Saviez-vous qu’un composteur ne concerne pas uniquement nos déchets organiques, mais également les professionnel·les de la typographie, alors nommés "compositeurs" ? Saviez-vous également que la connotation désagréable de l’imposition disparait dans le domaine de l’imprimerie puisqu’il s’agit tout simplement de la disposition des pages d’un livre ?
De nombreuses anti-sèches mises à disposition du public permettent de se familiariser avec ce vocabulaire technique. Nous souhaitons partager quelques points qui valent le détour :
- La sémiotique et le design se réfèrent à une "échelle d’iconicité" afin de situer la proximité entre le signe visuel et l’objet qu’il représente, depuis la photographie jusqu’au symbole abstrait, en passant par le schéma.
- L’Unicode désigne un système attribuant un numéro unique à un signe graphique ou à une lettre. Le "A" a donc pour sobriquet (point de code) U+0041.
- Au commencement était le point : considéré comme la plus petite unité du graphisme, il dévoile par son itération et par sa juxtaposition une infinité de lignes et de formes sans lesquelles nous peinerions à élaborer un système d’écriture ou de graphisme.
- La "trame" utilisée dans le langage courant, constitue pour l’imprimeur une précieuse structure de points (en unité PPP "points par pouce"), qui, à l’instar d’un canevas, permet de simuler les nuances de couleurs selon différents procédés d’impression.
- C’est en 1796 seulement qu’est inventée la lithographie, alors privilégiée pour les illustrations et les textes tels que les étiquettes, les cartes ou encore les documents administratifs. Cette fascinante technique fonctionne par opposition oléo-aqueuse via la gomme arabique étalée sur une grande pierre calcaire humidifiée. C’est ici l’occasion de mentionner le projet d’ouverture imminente, à Strasbourg-Cronenbourg, d’un musée d’impression lithographique dans un atelier des années 50, encore dans son jus.
La langue mise à nu
Qui, de l’auteur, de l'autrice ou de la lettre, écrit lorsqu’il écrit ? En se concentrant sur les caractères de l’écriture, les signes graphiques constitutifs d’un langage nommés "glyphes", mais aussi sur les gestes sociaux, ritualisés, qui ont conduit à leur apparition ainsi qu’à leur compréhension collective, on en vient rapidement à se questionner sur le rôle capital du signe lui-même, dans la pensée qui l’emprunte pour se construire.
Des Stammtisch nourrissent notamment une réflexion profonde sur la manière dont les signes, en plus du support physique qui les accueille, s’impriment dans l’esprit et dans les comportements des sociétés. C’est en tout cas le type d’hypothèse stimulante explorée par des chercheurs et chercheuses anthropologues investi·es dans l’observation des constructions graphiques des grands systèmes d’écriture.
Enfin, en suivant le chemin tracé par les points, les signes, les caractères et les lettres, on peut faire l’heureuse rencontre de la Littérature. Ici représentée par l’inspirant projet "J’aimerais vous lire", porté par la compagnie de théâtre Actémo, et soutenu par de nombreux partenaires financiers dont l’organisme participatif Okoté. Grâce à eux, un bel hommage aux salons littéraires du XVIIIème siècle a pu voir le jour.
Plus d’une centaine de textes ont été recueillis puis sélectionnés par un comité de lecteurs et lectrices citoyen·nes, accompagné·es par des acteurs, actrices et des lycéen·nes. Les auteurs et autrices sélectionné·es verront prochainement leurs textes édités dans un ouvrage consultable dans les bibliothèques, médiathèques et divers centres de documentation de la ville.
Si un point doit fatalement clôturer ce retour sur l’évènement FDI 2024, il ne sera certainement pas final pour l’association EEG, déjà prête à s’incarner prochainement dans un lieu strasbourgeois dédié à l’univers des imprimeurs et des arts graphiques, sous l’aura édifiante de la labellisation Strasbourg Capitale mondiale du livre UNESCO 2024.
Pour en savoir plus, nous vous invitons à suivre les actions menées par cette association, faisant sans aucun doute la fierté de Gutenberg et de ses illustres successeurs et successeuses.