Les bibliothèques idéales vues par nos ambassadeurs - Episode 2

21 février 2025
bibliothèques idéales

Des passionné.es de livre et de lecture, ambassadeurs et ambassadrices de Lire notre monde, se sont rendu.es aux Bibliothèques Idéales et nous ont fait part de leurs impressions, leurs découvertes et leurs ressentis. Voici l'épisode 2 !

Sorj Chalandon et Sébastien Gnaedig, Enfant de salaud et Profession du père

BNU, le 24 janvier 2025

L'enfant est chercheur, il a naturellement le désir de comprendre et de découvrir. L'école doit nourrir cette curiosité et cette soif de savoir

Célestin Freinet

Enfant pendant la Seconde Guerre mondiale et adulte aujourd'hui, Sorj Chalandon est passé par l'école pour devenir journaliste et se consacrer à la recherche de la vérité sur les occupations de son père du temps de la Gestapo. Il a souffert de ses longues absences, lorsqu'il était présent, il se comportait en tyran.

Une enfance traumatisée, un chagrin longtemps tu. Extérioriser ses douleurs, ses blessures, les secrets de famille peut consoler, soigner et faire du bien. C'est une thérapie pour surmonter son destin. Pour Sorj Chalandon faire remonter à la surface ce qui était enfoui, remuer son jardin secret répondent à la volonté de transmission des valeurs. Lesquelles ? Une question déterminante dans la mesure où les circonstances de la Seconde Guerre mondiale et ses conséquences dramatiques ont encore énormément d'impact sur l'actualité. "La douleur n'a pas disparu : le monde commémore le 80e anniversaire de la libération", écrivait Luc Davalou pour souligner la venue des dirigeants du monde entier à Auschwitz en janvier dernier.

BI

Les témoins inaltérables des échos du passé, eux aussi, disparaissent peu à peu, infligeant aux nouvelles générations l'angoisse du vide. Le livre et la lecture, volets essentiels de Lire notre monde restent des remparts pour lutter contre l'oubli et cimenter la conscience de "plus jamais ça". Sorj Chalandon se souvient de sa jeunesse ruinée par le fait de ne pas savoir exactement ce que faisait son père constamment absent.

Il n'était pas le seul dans ce cas. Nombreux sont celles et ceux dont la mère, le père (ou les deux), était soit un collaborateur notoire, soit un résistant: "on était ou la progéniture d'un résistant, ou celle d'un collaborateur. On avait la fierté du fils d'un héros ou la honte et la tristesse de celui d'un traitre". Dans les deux cas le traumatisme était consommé. Sorj Chalandon est enfant dans ses écrits. Les pages les plus poignantes sont celles où il décrit ses attentes lors du procès de l'ancien nazi Claude Barbie à Lyon.

Il attend que son père avoue à la barre, une tribune de libération, un tournant. Il attend que les langues se délient enfin. Il regarde son père: "je t'en supplie, papa, dis que tu étais en Allemagne, en Russie, ..., je le sais maintenant, tu m'as menti ma vie entière, avoue, dis oui, dis-le !". Mais rien. Son regard interrogateur va de son père à sa mère, un être effacé: "la politique, je connais pas". Même devant la justice, l'enfant n'aura pas la réponse tant attendue officiellement. Comment se reconstruire avec les non-dits ? Comment prendre du recul ?

C'est là que l'éditeur et dessinateur vient au secours de l'auteur. Face-à-face Sébastien Gnaedig- Sorj Chalandon sur le plateau des Bibliothèques idéales. Le premier a été touché par la spontanéité du récit, l'humilité du témoignage, le regard plein de maturité sur le passé: "j'ai été ému par un parcours de vie à la recherche d'identité, d'affection et j'ai décidé d'adapter l’œuvre de Sorj Chalandon".

Enfant de salaud et Profession du père sont traduits en romans graphiques. La bande dessinée suit bien la chronologie des faits: passé, enfance, une colonie de vacances, les enfants raflés par la Gestapo, le Musée de la mémoire avec beaucoup de dessins d'enfants. En quatorze planches les couleurs vives, les lieux, les faits judiciaires, la relation d'un fils pris par le poids de l'émotion et qui veut à tout prix arracher la vérité à son père, le lien entre une histoire personnelle et ce qui s'est passé au procès de Lyon, un gros défi d'adaptation.

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Mais "je vous ai donné le style de gros nez qui ne te plait sans doute pas", s'excuse Sébastien. "Au contraire, à aucun moment je ne me suis senti trahi. Le roman et la bande dessinée se complètent. Votre travail aide à me séparer de l'image de mon père. Changer de visage, c'est prendre de la distance pour mieux digérer cette histoire. Une façon de traduire le livre autrement, avec les personnages qui ne représentent ni mon père, ni ma mère, ni moi-même. Les limites, je les impose pour le respect des gens dans le camp de concentration, faites gaffe aux mots utilisés pour ne pas les salir", exhorte l’auteur.

Sory Chalandon a réussi à partager avec l’auditoire le désarroi d’un fils devant un père violent et mythomane. Il le retrouve au procès de Claus Barbie qu’il couvre lui-même pour Libération. Il espérait se libérer du passé. Hélas, il bute sur l’impossible, l’incompréhensible : son père reste une huître devant la barre. Seule lueur d’espoir : il lui reste une vie, toute "une vie pour comprendre". 

Pascal Quignard, Trésor caché

BNU, le 24 /01/25

Pour Pascal Quignard tout est trésor. C'est Vanessa qui initie le dialogue avec l'auteur. Le roman est centré sur une femme de 50 ans qui perd son chat. L'enterrant dans son jardin, elle tombe sur un trésor inattendu. Elle décide de voyager, un déplacement à la fois géographique et intérieur, qui lui permet de redécouvrir une forme de spiritualité. L'espace d'un an sa vie se transforme. Lors de son deuxième voyage en Italie elle rencontre un homme de 62 ans et tombe amoureuse. Mais la relation est asymétrique. Les deux ne ressentent pas les choses de la même façon: l'homme, parce qu'il est malade, ne veut pas se dévoiler. Est-ce la peur de la mort ou celle d'être dérangé dans sa concentration sur son cheminement vers l'abîme ?

Ce n'est pas facile non plus pour Louise: "je ne l'aime plus, mais je reste avec lui." Elle est perdue et ne sait pas déterminer quelle est la chose la plus précieuse dans sa vie: sa liberté ou l'obligation d'assistance qu'elle doit à l'autre ? Ils se sont aimés d’entrée de jeu en se rencontrant et aussitôt refroidis par les réserves de deux côtés.

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Il n'y a plus d'amour entre eux, mais ils trouvent un arrangement: "nous ne nous aimons plus, mais nous nous souvenons." La mémoire est aussi un trésor pour l'auteur. Elle peut embellir le passé.

Louise est sur une île, secouée par un tremblement de terre. Elle rêve du passé, toute une série de rêves, elle en compte 8. Même si ces derniers sont importants pour elle, à ces "curieux trésors" elle préfère la contemplation au bord de la mer, l'horizon et les chants des oiseaux. Avec l'âge, la contemplation prend plus relief. Celle-ci est aussi un trésor qui lui inspire d'autres encore. Parmi eux, le silence, celui d'attaque ou de l'extinction du son, le silence dans un sanctuaire, habité par le respect et la nature du lieu.

Le texte est une sorte de poème en prose. Il ramène en permanence à la réflexion. Comme cet échange sur la mort avec une jeune fille rencontrée dans un cadre spécial, le cimetière. Elle évoque la douleur qu'une aînée peut ressentir en enterrant sa petite-nièce avant elle, une épreuve incomparable. La douleur ou la souffrance est aussi un trésor. Aux questions de son interlocutrice Pascal Quignard cherche le mot juste pour répondre et marque une pause. L'émotion !

"Pour quelle raison les personnages du roman cumulent-ils plusieurs prénoms ?

- Je ne sais pas. Sans doute pour concilier les identités. Une clarification d'identité, mais également le poids du passé. Il fut un temps de l'histoire où les gens multipliaient les petits noms, où on vous demandait si vous étiez allemand ou Français.

- Quel est votre lien avec le chat dans le texte ?

Communiquer par le langage est parfois source de problèmes, on interprète. Je préfère passer par les animaux, ils sont inconditionnels."

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Et c'est à Vanessa la fine observation sur l'héroïne du roman: malgré la douleur, Louise est heureuse. Elle s'accomplit. Passer par la souffrance, la blessure dresse le corps. "Les épreuves sensibilisent". "Oui, il y a dans nos vies des moments, des scènes infiniment romanesques: une transformation, une conversion ou une métamorphose, c'est beau ! Louise sillonne toutes les étapes de sa vie en grande nageuse qu'elle est", appuie Pascal.

Philomène Milolo-Odimba

Ambassadrice Lire notre monde