Les bibliothèques idéales vues par nos ambassadeurs - Episode 1

28 octobre 2024
bibliothèques idéales

Des passionné.es de livre et de lecture, ambassadeurs et ambassadrices de Lire notre monde, se sont rendu.es aux Bibliothèques Idéales et nous ont fait part de leurs impressions, leurs découvertes et leurs ressentis. Voici l'épisode 1 !

18 septembre 2024

Gaël Faye ou l’humanité vivante

Une magnifique réussite, le duo lecture/guitare – Gaël/Samuel, une interaction d’une grande richesse, une humanité exceptionnelle !

 Maîtrisant la gravité et l’intensité du sujet, ils ont généreusement tout donné. En cette année du 30ème anniversaire du génocide rwandais, Jacaranda décrit les massacres des Tutsis, les détails des exhumations, les crânes humains au mémorial du génocide à Nyamata, les restes de 800.000 à 1000.000 de morts. Des milliers de Rwandais ont perdu toute ou une partie de leurs familles. Les faits nous renvoient aux similitudes avec l’histoire d’un autre auteur-compositeur-interprète, Corneille, dont les siens ont été tués devant lui : « Après cette nuit-là, la musique est devenue ma raison de vivre ». Gaël apporte magistralement sa pierre de la reconnaissance et la visibilité de l’horreur. Ce livre sonne comme un tournant dans sa vie et sa notoriété. Le récit est poignant. La tension va crescendo, au fur et à mesure que l’on tourne les pages. Elles donnent un supplément d’âme aux victimes ciblées par les Hutus.

Elles les arrachent à la mort et les rendent perpétuelles. Jacaranda est « un miroir tendu à ce Petit Pays, tout le monde peut se regarder ». Un précieux cadeau aux jeunes générations. Tellement précieux, les « couches du passé » sont à raviver, leurs leçons peuvent sauver des vies.  

Embarquée par la lecture, sur fond de guitare, je ne peux plus lâcher l’écoute car je veux connaître la suite, le dénouement. Les principaux personnages de Jacaranda sont justement jeunes, l’avenir. Stella, Claude, Sartre, Milan et Gabriel, veulent tourner le dos aux haines tenaces et envies de vengeance ». Seul compte l’espoir, le retour de la paix durable. La jeunesse y croit. C’est sa conviction profonde traduite par ce proverbe rwandais : « Dieu se balade dans le monde et rentre chaque soir au Rwanda pour dormir ». La séance prend fin sur une note, « Regarde », comme invitant à voir de loin une étoile, reprise par une salle debout et une ovation.

                                                                                                                                                                                       Philomène MILOLO

Clara Ysé creuse les silences, lecture musicale

Démonstrations percutantes des déchirements intérieurs. Ils sont deux sur scène : Clara, l’autrice multicasquettes et Camille El Bacha, le pianiste, le mot et le son. La lecture – musique, « une forme de langage dans lequel Clara trouve un espace de liberté inaltérable ».

Assise ou débout, arpentage de la scène, la musique suit pas à pas le texte. Vivante est un recueil qui rassemble plus de quatre-vingt poèmes. Les extraits choisis sont lus avec énergie, beaucoup d’émotions, de profondeurs et de justesse. Ils explorent les faces sombres de l’existence (manques, silences, monologues, sentiments, solitude, mélancolie,). Son questionnement est humaniste. Le tiraillement est humain. Le public peut s’identifier. La phrase, « Vivante, elle est vivante » déclamée interpelle la salle et la tient en haleine jusqu’au bout. Clara lit, chante, bouge, mime. Le ton est tour à tour grave, enrobant, léger, aigu, … Le pianiste, en alerte continue, harmonise l’enchaînement et le rythme. Selon le moment « la nuit est longue ou courte ».  La douleur rend « sourde, je voudrai seulement être sourde pour ne pas être en colère ». Le choix de la fuite ou de l’affrontement? Certainement la seconde option.

« Nous sommes dans un monde où le courage est un moyen d’honorer l’essentiel », l’apaisement et la guérison. L’autrice demeure assez lucide pour l’aboutissement.  

Une intervention combinant lecture et musique a un effet favorable sur l’auditoire, permet de développer certaines habilités, comme « la perception auditive, la mémoire verbale… » selon les études scientifiques de la Revue des sciences de l’éducation de Mc Gill. Ainsi le décor de l’Aubette devient une scène de l’Opéra où l’autrice se parle à elle-même, devant son reflet dans un miroir et voit son double l’interpeller. Clara use de nombreuses ressources expressives de la voix : mélodique, parlé/chanté, scandé. L’accompagnement instrumental amplifie les accents, les intonations, les plus aiguës renvoyant sans cesse au silence et à la rupture.

Le programme de Clara et Camille relève la lecture et l’interprétation du texte. Un vrai régal pour les yeux et les oreilles ! Une passion plus animée des mots mérite bien les applaudissements.

                                                                                                                                                                           Philomène MILOLO

19 septembre 2024

 

Le féminisme contre l'extrême droite avec La Déferlante, Sarah, Maud et Emmanuelle 

En 2014 Marine se revendiquait Républicaine et criait haut et fort son attachement à la République universelle et laïque comme projet émancipateur. "La santé des femmes recule dans notre pays", affirmait-elle encore lors de la dernière campagne présidentielle, pour mieux dénoncer les questions du harcèlement de rue, les difficultés financières des mères isolées ou les déserts gynécologiques. Elle a même publié, à la veille du 8 mars, une "Lettre aux Françaises" pour souligner sa solidarité. Malheureusement pour les féministes la stratégie de Marine, entamée dès 2012 et renforcée en 2017, a déjà produit des effets sur l'électorat féminin, le nombre de ses électrices ayant sensiblement augmenté.

C’est également le constat fait à l'étranger : « en France l'extrême droite gagne du terrain parmi l'électorat féminin ». Pourtant « ce ne sont pas les manifestations contre l'extrême droite qui manquent », regrettent les trois intervenantes. C'est dire que le féminisme, un mouvement doté d’une capacité de résistance remarquable pour défendre une cause, reste inefficace contre le RN « qui s’inspire des conservateurs Américains ou Italiens ».

Si Marine est parvenue à se "dédiaboliser" auprès de l'électorat féminin, ses discours et textes ne suivent pas à l'Assemblée nationale et au parlement européen. Pour ne citer qu'un exemple, en 2018 lors du vote de la Loi SCHIAPPA visant à renforcer la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, les abstentions et absences des députés RN sont pointées du doigt au moment de l'adoption. « Le féminisme peut inlassablement « réaffirmer son volontarisme pour vaincre les haineux de tous bords qui attaquent l’universalité, la démocratie et la République », rappelle Emmanuelle.

                                                                                                                                                                           Philomène MILOLO

20 septembre 2024

Rencontre avec Mélissa Da Costa et son incroyable parcours littéraire

« L’empathie peut sauver le monde ».

Enfant, Mélissa se voyait institutrice corrigeant les copies de ses élèves. En grandissant, elle aspirait au métier de journaliste, psychologue et aujourd’hui elle se définit comme une romancière accomplie et elle ne regrette rien. A la question de son interlocutrice: que diriez-vous à la Mélissa actuelle ? Elle a la joie d’avoir des livres édités, elle est en tête des ventes, elle lui dirait : « ça y est, tu peux mourir tranquille, c’est bon, continue comme ça »! L’autrice observe également la fierté dans le regard ému de ses anciens professeurs de collège : « ils viennent me saluer lors des séances de dédicace, photos de classe en main, quels beaux souvenirs » !

En tant qu’autrice, elle partage sa vision et défend ses valeurs comme l’amour, l’empathie, la sororité, l’écologie et la famille. « Dans la fiction je peux les transmettre sans les imposer ». Mélissa aime « le vivant et le concret au sens large ». Son aventure littéraire, sa passion de l'écriture lui permettent de tout vivre, de devenir un homme, une femme, une vieille, une jeune. À l’interrogation : comment faites-vous pour vous mettre dans la peau d’un(e) autre?

« L’empathie, la sensibilité et l’écoute sont à la manœuvre », affirme Mélissa. Elle l’illustre dans l’écriture de Les Femmes du bout du monde et Tenir debout. Pour se mettre dans un état d’intimité avec d’autres femmes elle a dû faire une immersion dans le concret. Pour écrire sa première œuvre Mélissa a fait un voyage jusqu’à la Nouvelle Zélande avec compagnon et enfants pour explorer ce pays et « vivre au plus près de la nature, habitant et dormant dehors ». Un sentiment de sérénité les renvoyant à leur « vie dans la campagne lyonnaise, loin des agitations de Paris ». Pour la deuxième, elle a fait un « Vis ma vie » dans le milieu théâtral pour découvrir de l'intérieur la personnalité d'un comédien en situation de handicap et l’univers des souffrances psychologiques, rééducation, difficultés de la procréation, reconstruction de son identité. Une occasion d'apprécier l’accueil au CHU de Nancy et le parcours réalisé pour faciliter la stimulation et l’accessibilité.

À la fin de l’entretien son interlocutrice la surprend lorsqu'elle lui transmet les salutations d'Augustin Trapenard, rencontré avant elle: "Il m'a demandé de vous dire qu'il vous embrassait". Les Bibliothèques Idéales, c’est aussi ça, établir les liens, les ponts entre auteurs et lecteurs, écrivains entre eux, lecteurs entre eux. C’est le carrefour des rencontres, « un événement majeur et unique de rassemblement autour des valeurs de convivialité, partage, solidarité, curiosité, plaisir, interactivité, vivre- ensemble, ouverture d'esprit ».

                                                                                                                                                                                             Philomène MILOLO

21 septembre 2024

Bal littéraire: lecture et danse avec Léa Wiazemsky, Olivier Liron et Alexandra Koszelyk, Médiathèque André Malraux

Trois artistes immergés dans les médiathèques, trois textes produits en 24 heures. Une soirée saisissante où la créativité littéraire invite à la danse. Alexandra, Léa et Olivier ont répondu à un pari fou: l'immersion dans nos médiathèques pour en sortir avec, chacun, une dissertation sur ce que représente une bibliothèque, une médiathèque dans une Cité. Tout un travail de composition et d’architecture. Les trois se sont avérés d’ardents défenseurs de ce qu’ils ont qualifié de « refuge ».

Pour Olivier, écrivain, poète et enseignant, une médiathèque est un lieu où les livres sont jugés. Un souffle de vie. Un refuge qui accueille toutes formes de fragilités: usagers, habitués, ou inconnus, ... "Les bibliothécaires sont des êtres très romanesques". Son défi de création est "quelque chose de sacré". Enfant, sa mère l’y emmenait. En parler c’est aussi rendre hommage à l'enfance. Lui qui avait connu des difficultés scolaires décrites dans son livre, La stratégie de la sardine. La médiathèque, la littérature et la lecture l'ont sauvé.

 

Pour Léa, une comédienne, habituée à donner la vie aux mots des autres, une médiathèque est un lieu où un enfant est tranquille, serein, un lieu d'accueil, un espace de bienveillance. Un lieu où elle a découvert une autre façon d'être mère. Elle apprenait le français aux enfants et leur lisait des contes. "Même du temps de l'Internet il y aura toujours une chance de trouver un enfant pour ouvrir la porte d'une médiathèque". Il lui rappellera encore et encore l'enthousiasme d'avoir fait ce pourquoi elle se levait chaque matin. Des difficultés scolaires au goût de grands classiques et « l'ouverture à l'humanité, ça s’est passé ici ». Une expérience qui trouve sa résonance dans Petit éloge des cafés.

 

Pour Alexandra, romancière et professeure de Lettres classiques, "on peut approcher la littérature de mille et une façon". La médiathèque est le meilleur endroit, c’est un magnifique cadeau offert au public. Son immersion s’est passée à Frida Kahlo. Son histoire est celle d'une archiviste. Lorsque la guerre éclate en Ukraine, elle pense d'abord à prendre les armes. Mais son fils lui rappelle qu'elle ne sait pas tirer. Elle veut se rendre utilise sur place. Elle devient archiviste et exerce son patriotisme ukrainien. "Il ne sert à rien de détruire totalement une culture". Son livre Pages volées ouvre la voie à des questionnements essentiels: comment vit-on quelque chose qu'on n'a pas choisi ? Comment grandit-on dans une médiathèque, lieu de refuge et de devoir ? La médiathèque lui permettait de lire tout ce qui lui passait sous la main. Ce lui permettait de lire tout ce qui lui passait sous la main. « Tout ce qui donne envie de résister et d’aller de l’avant ».

 Frida Kahlo est "un poumon de la vie." Lieu de livres, jeux vidéo, univers numérique, "la médiathèque est muette et patiente. Un îlot dans une mer en perpétuel mouvement".  Ici tout est question des liens invisibles : les enfants entrent pour jouer mais ressortent avec des images. La médiathèque n'impose rien mais sait qu'un jour celui qui est passé par là reviendra. Ici tout se croise. "Comme Strasbourg, ce lieu résonne en profondeur, au carrefour, à la croisée des routes".

L'intervalle de trois lectures est animé par le DJ David Bub de DB ANIMATION qui pousse tous les amoureux des mots, sons et mouvements sur la piste de danse pendant quinze minutes. Ils se cultivent et se font plaisir en même temps. Ils quittent les lieux, toutes et tous colporteurs de l'ambiance festive et envoutante qui y règne.             

                                                                                                                                                                                 Philomène MILOLO

25 septembre 2024 à 17h

 « Mythologie et chrétienté » : Rencontre avec Gilles Leroy et Frédéric Gros

Dans les somptueux décors de la salle de fête de l'aubette où se côtoient les œuvres colorées des époux Arp et de Théo van Doesburg, les deux invités, Gilles Leroy, le romancier, et Frédéric Gros, le philosophe, évoquent, chacun leur tour, avec la complicité malicieuse de l’animateur Édouard Castillo, la genèse et le récit captivant de leur ouvrage respectif.

Gilles Leroy, dans son beau roman Monologue de la louve, raconte avec passion l’histoire mythique d'Hécube, épouse de Priam, qui, pour échapper à l'humiliation de devenir l’esclave de son ennemi Ulysse, se transforme en louve après avoir assisté impuissante à la destruction de Troie et au massacre de ses enfants.

 

Gilles Leroy & Frédéric Gros

Dans son ouvrage La première histoire, Frédéric Gros met en scène Théoklïa, une figure martyre de la chrétienté qui a décidé, au premier siècle de notre ère, de rompre ses fiançailles et d’ériger sa virginité en symbole de résistance. Échappée de justesse au bûcher et à la décoration par les fauves, Théoklïa est l’étendard d’une indépendance féminine assumée.

Voici donc contés par ces auteurs deux destins mythiques de femmes exceptionnelles qui intriguent et forcent l’admiration.

Dans la salle, les auditeurs dont certains ressemblent à d’anciens professeurs d’histoire érudits, écoutent religieusement le récit passionnant de ces deux figures féminines tutélaires.

Le fantôme de ces femmes mystérieuses semble même errer à nos côtés, comme les vestiges d’une histoire méconnue ou d’un mythe injustement oublié que ces deux écrivains se plaisent à faire revivre. De quoi satisfaire notre soif d’apprendre et notre curiosité.

                                                   

                                                                                                                                                                  Alix Lerman Enriquez

28 septembre 2024

Face aux blessures du passé, rencontre avec Pauline Clavière et Isabelle Sorente

"Si vous voulez éviter une zone de turbulences, il y a à Strasbourg un bouclier antimorosité, la richesse culturelle, dont ce Festival, les Bibliothèques idéales, est un des volets majeur". C'est par cette formule magique que la présentatrice accueille les deux romancières. Deux livres, deux autrices différentes sur le même plateau, Wunderland et Medusa explorent les secrets de famille et la puissance des femmes. Les deux récits sont les témoins d'une blessure universelle. L’emblème choisi par Isabelle est la méduse. « Toute femme a un aspect méduse en elle ». À force d'être violentée ; elle devient monstrueuse. "On n'oublie pas la violence, les mots comme les coups".

Les blessures des hommes et celles des femmes ne sont pas de même nature, comme il existe des douleurs que seules les femmes peuvent ressentir. D'où l'épineux problème de transmission et d'influence dans la relation mère-fille. "L'héritage du passé, c'est plus une question entre mère et fille qu’entre père et fils". Les épreuves forgent le caractère. Dans Medusa, Vanessa, la mère de Marianne, a vécu une agression et se sent proche des monstres. Blessée par le côté léger de son mari, elle porte en elle la déception, la rancœur et la négativité. Elle ne veut pas que la même chose arrive à sa fille. Mais pour une femme forte, courageuse et déterminée la rancœur et la négativité peuvent aussi devenir des richesses qui poussent à se débarrasser du poids du passé. Cela peut se faire par l'écriture, le verbe, l'échange.

La relation mère-fille souffre également de non-dits. Ils peuvent s'avérer un véritable poison. « Dans toutes les familles il y a des souffrances ou des douleurs enfouies dont on ne parle jamais, c'est humain ». Mais pour quelles raisons? La honte, la pudeur, la peur de blesser, vouloir passer à autre chose, tourner la page font taire. Si l’on veut aller contre les monstres, il y a toujours un prix à payer. Ne pas y aller est un choix de confort. Et si votre vie, votre équilibre en dépendaient, que faire? Si c'est le seul moyen de trouver l'harmonie existentielle, alors il faut encore creuser, il faut foncer, persévérer. "La flamme qui cherche. Les couleurs vives ont le mérite d'être suivies". Il faut néanmoins rester lucide, « on ne peut pas toujours comprendre le pourquoi de toutes les sorcelleries », conseille Pauline.

Les deux romans sont à la fois une quête et une enquête. Quant à trouver un lien entre les deux, les autrices sont d’accord, c'est chercher à les perdre pour les aider à mieux se retrouver . Les deux romans semblent avoir, chacun, son âme propre, mais ils se rencontrent indéniablement

                                                                                                                                                                                          Philomène MILOLO

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