De l’occase pour les fêtes

27 novembre 2024

Composant le troisième marché du livre de France, les bouquinistes font partie intégrante du patrimoine de la ville de Strasbourg.

Tous les mardis, jeudis et samedis, les irréductibles vendeuses et vendeurs d’ouvrages investissent le début de la rue des Hallebardes et la place Kléber. Qu’il vente ou qu’il neige (la fragilité de leurs éditions leur faisant tout de même fuir la pluie, malgré les tonnelles qui les protègent), ils et elles sont là, invariablement.

Dominique est l’un des derniers arrivés dans cette petite famille. Voilà 7 ans qu’il monte son stand, trois jours par semaine à deux pas de la Librairie Kléber. Rien de contradictoire pour lui : "Certain·es client·es viennent ici et filent ensuite dans des librairies, d'autres ne jurent que par les livres d'occasion, et les dernier·es ne veulent que du neuf... Il y en a pour tout le monde", assure posément, celui qui a délaissé la vente en ligne pour "retrouver le plaisir du contact humain et de l’échange avec les amateurs et amatrices de lecture, au quotidien."

L’ancien correcteur de magazines constate d’ailleurs que "les gens se sont remis à lire avec la période du Covid, et j'ai l'impression qu'ils ont gardé cette pratique, on voit plus de monde. Les lectrices et lecteurs sont revenus plus nombreux." Pour autant, l’activité reste très variable, voire inégale d’un jour à l’autre sans réelle explication. "On ne sait jamais d'avance si on va vendre beaucoup ou peu... Mais sur une année, ça s’équilibre."

Les beaux jours font du bien, les gens sortent, se baladent et font du lèche-vitrine. Les touristes trouvent alors un charme fou à ces bouquinistes, comme sur les quais de Seine parisiens.

Temps fort

Le temps fort reste celui des fêtes, invariablement. "Décembre est de loin le meilleur mois pour nous : les gens préparent Noël et achètent de nombreux livres pour des cadeaux. Et ils n'ont pas peur de la seconde main, c'est entré dans les habitudes", confie celui qui adapte son offre à ce moment clé de l’année. "Comme mes collègues j’amène plus de beaux-livres et de grands formats, plus lourds à transporter. Alors que d’habitude j'ai surtout des livres de poche, des romans, pas mal d’autrices et d’auteurs classiques et des polars. Mais aussi un fonds universitaire mêlant de la philo, des Que sais-je ?, de la psycho et de l'histoire. Des choses que l'on ne trouve pas forcément en neuf aussi."

Écologie

Peu de vraies raretés pour autant, même si les demandes sont nombreuses. La concurrence avec les plateformes en lignes est rude et rend l’art de les trouver à des prix attractifs fort compliqué. "De plus en plus souvent, des personnes mettent en avant la dimension écologique de la seconde main, de l'occasion. Le fait de ne pas acheter que du neuf permet de ne pas gaspiller et de ne pas ajouter à tous les objets déjà existants et aux déchets que produisent nos sociétés. Faire vivre les livres déjà édités est un véritable engagement pour nombre d’acheteuses et d’acheteurs réguliers."

Si Dominique bas les pavés de la place depuis 7 ans, il ne fait pas partie des titulaires, à l’inverse de ses voisins, Marc et Patrick. Ce dernier, qui vend des bande-dessinées et cartes de géographie de classes d’antan, est là depuis la première édition du marché du livre, voilà plus de trente ans ! La cohabitation est sereine, chacun ayant sa place attitrée et régulière, ses marottes (l’art, les reliures anciennes, les livres de poche…) et ses habitués aussi.

bouquinistes

Par contre, les petits nouveaux se font rares. Dominique est l’avant dernier arrivé. Celles et ceux qui partent à la retraite ne sont guère remplacé·es. Mais point de défaitisme chez ceux qui ont survécu à tous ceux qui jouent les Cassandre depuis qu’Internet a étendu sa toile, promettant la fin du livre.

La France reste un pays de lectrices et lecteurs, et il y aurait de la place pour des genres peu exploités jusqu’à présent, le manga ou la new romance si chère aux jeunes générations. D’autant que ce métier offre une grande liberté et une indépendance dans l’air du temps. De quoi susciter des vocations et perpétuer un certain esprit strasbourgeois

Claudine Jean

Journaliste

""La vraie générosité envers l'avenir consiste à tout donner au présent.""