Le potager du paresseux

9 juin 2024

À l’image de cette troisième édition du "Festival Graines Urbaines" présentée à la médiathèque du Neudorf, une conférence de Didier Helmstetter a ouvert cette série d’événements, nourrissant l’espoir que certaines de ses idées germent dans les esprits les plus fertiles.

La paresse au service de l’intelligence agronomique

Jonglant entre questionnements de fonds et enseignements techniques. L’ingénieur agronome n’a pas sa langue dans sa poche et reste probablement le jardinier le plus iconoclaste de la région. Face aux enjeux du dérèglement climatique, il prône une culture très raisonnée sur de nombreux aspects.

Changer de paradigme et déconstruire les fantasmes anthropocentriques

Nombreuses sont les récompenses pour les quartiers, rues et maisons les plus fleuries et les plus soignées. Très peu pour l’agronome n’ayant cure de la "frime" et des habitudes socioculturelles ancrées à l’encontre du vivant.

Aux yeux du spécialiste, il est urgent de déconstruire des logiques malfaisantes pour la nature. Dans son viseur évidemment, une agriculture gangrénée par le système capitaliste. Mais pas seulement : il réfute également l’écologie non scientifique, le "BIO" dogmatique et quasi décoratif dans la sphère publique, le mythe du jardin coupé au cordeau et du potager luxuriant, et aussi la mésinformation ou désinformation dans ce domaine qui appâte sans mal les plus soucieux de préserver leur image davantage que la nature.

C’est bien le vivant qui est au centre de la réflexion de Didier H., fort de nous rappeler que le terme "biologique" se décompose en "bios", vivant, et en logique. Le cap est annoncé : travailler avec la nature de façon à inclure la logique du vivant dans ses procédés.

Pour faire honneur au friand de sémantique, nous ajouterons que son nom de famille "Helmstetter" signifie justement en allemand "Timonier", autrement dit, celui qui tient fermement le gouvernail, ça ne s’invente pas. Laissons-nous donc porter par cette remarquable épopée du potager du paresseux.

L’aventure :  travailler en cohésion avec le vivant afin de ne pas s’épuiser en vain 

Après un infarctus en 2007, la retraite s’annonce plus compliquée que prévu, ou du moins, il faudra ménager le cœur. Voilà qui contraint Didier H. à dépenser très intelligemment son énergie dans son projet de potager qui débute sérieusement à partir de 2015.

La paresse, dit-on, est le moteur le plus efficace pour obtenir les meilleurs résultats avec de moindres efforts. Les images présentées par l’agronome de son potager évoluant au fil des années ne sauraient démentir cette maxime.

En effet, pendant que les voisin·es s’affairent à la tonte, à la pose de clôtures et autres tables potagères, à l’insémination d’intrants destructeurs pour la biosphère, notre jardinier met à profit ses connaissances agronomiques ainsi que sa grande curiosité pour très savamment…ne rien faire !

Pourquoi ?  Car c’est le meilleur cadeau que l’on puisse offrir à la terre, alors prête à nous le rendre si nous adoptons les bons gestes aux moments opportuns. Il ne s’agit pas de révolutionner l’agriculture mais bien au contraire de revenir à l’action initiale de la nature, celle-là même qui se passait fort bien de l’humain et produisait à foison des ressources rares que nous surexploitons aujourd’hui.

Le guide de l’inaction fructifère

"Ne rien faire", ou pour être exact, faire juste ce qu’il faut, quand il faut, et là où il faut. Tel est le fond de la démarche de Didier H., que nous pouvons schématiquement présenter ainsi :

 

À faire

Être patient·e, se reposer, réfléchir, observer, être curieux et curieuse du vivant, collaborer avec les autres êtres vivants, bien connaître les spécificités de son terroir, tondre uniquement pour dégager des allées, récupérer l’eau de pluie, jeter directement les déchets alimentaires sur la surface de la terre

À ne pas faire

Se soucier du regard des autres, céder aux caprices productivistes, bécher, greliner, utiliser un motoculteur, arroser à outrance, tondre à tout va, répandre des pesticides et des engrais, composter, dépenser bêtement de l’argent en jardinerie

En effet, il s’agit avant tout de bien connaître le fonctionnement de la nature, à savoir les interactions entre les espèces, nous y compris. À l’instar de la diplomatie du vivant présentée par le philosophe Baptiste Morizot, Dider H. fait société avec son potager. D’innombrables organismes vieux de plusieurs millions d’années ont perpétué des techniques bien rodées pour conserver l’eau et les nutriments indispensables à la croissance des fruits et des légumes.

Les champignons mycorhiziens en constituent un exemple emblématique : ils sont capables de s’associer avec les racines d’une plante sous la forme d’un réseau appelé "mycorhize" et ainsi de décupler la zone d’approvisionnement nécessaire à son développement.

Autrement dit, travailler le sol n’est qu’une entrave à ce type de partenariat, et ne fait que répercuter un travail conséquent sur l’humain, pour un résultat non garanti…

Toutefois, il est important de garder à l’esprit qu’avoir un potager ne peut pas être synonyme d’équilibre naturel. En effet, l’agronome nous rappelle qu’en laissant complètement la nature opérer, elle devient rapidement une forêt, dans laquelle on ne trouve ni tomates, ni carottes, ni poireaux etc.

L’action humaine a donc un périmètre bien délimité en matière d’agriculture. Cela commence par la couverture permanente, épaisse et nourrissante du sol (carbone et azote). Une terre bien nourrie laisse notamment aux vers l’opportunité de sculpter de précieuses galeries. Le sol peut ainsi respirer et absorber de grandes quantités d’eau de pluie. Soyez attentifs et attentives à l’apparition des turricules en surface, c’est un excellent signe !

Pour le jardinier paresseux (comprendre "intelligent"), la nature met à disposition une main d’œuvre gratuite à laquelle il s’agit de s’allier. Carabes, vers de terre anéciques, bonnes bactéries, même les adventices que l’on appelle "mauvaises herbes", ou encore les pucerons, peuvent avoir leur utilité si nous savons en tirer profit. Des livres, ainsi qu’une chaine YouTube de Didier Helmstetter accompagneront les novices comme les jardiniers et jardinières aguerri·es pour une meilleure appréhension du potager et plus largement du vivant. Ainsi en va-t-il également des autres événements du Festival Graines Urbaines dédiés aux amoureux et amoureuses de la nature, depuis une promenade d’observation des oiseaux pour les plus jeunes jusqu’à une balade bucolique en canoé kayak en passant par une visite patrimoniale et botanique du cimetière Saint Urbain. 

Audrey Busch