Lors d’une conférence, le poète haïtien Jean d’Amérique, a envoûté son auditoire avec sa poésie puissante et engagée en évoquant la langue comme une « révolte » poétique, mêlant beauté et dénonciation des injustices. Cette rencontre s’inscrit dans le cadre de la résidence "Écrire l'Europe" de Jean d’Amérique, qui se termine le 20 novembre. Notre ambassadrice Alix Lerman Enriquez y était.
Je me dirige prestement vers le Studium, qui, dans la nuit, plus particulièrement, me fait toujours songer à un immense accordéon. C'est que ce soir, y a lieu une conférence de Jean d’Amérique, un jeune poète haïtien dont j'ai entendu le plus grand bien. Lorsqu’enfin, je rentre sans la salle In Quarto de cet immense bandonéon, j’aperçois Marie qui travaille à la librairie Chapitre 8, la librairie de mon quartier qui, en partenariat avec l’Université de Strasbourg, a organisé cet événement. Je lui fais signe un peu maladroitement et, après m’être installée parmi une myriade d'étudiant·es et de professeur·es de lettres ou de philosophie, j’attends intimidée la venue du poète prodige.
Jean d’Amérique arrive, souriant, en tenue décontractée et s’assied devant son auditoire. Lorsqu’il se met à parler, la magie opère. Le silence se fait dans la salle et les mots explosent comme escarbilles dans un bûcher, surtout lorsque le poète nous parle du brasier de la langue poétique, de la flamme et de la lumière que la poésie nous fait recouvrer. Sur son visage, je vois d’ailleurs cette même lumière briller.
Jean d’Amérique nous parle de la poésie comme d’une "langue-révolte". Car la poésie est tout d’abord distorsion fertile du langage, réinvention décuplée de la langue mais elle n’est pas que cela. Elle est aussi une façon urgente de dénoncer les injustices et les inégalités, comme le disait René Philoctète dans son état d’urgence poétique et que le jeune poète se plaît à citer. Parce que la poésie est encore et surtout ferment de révolte contre les injustices sociales et politiques, manifeste incantatoire contre toutes les formes de discrimination. La poésie est résistance à la déflagration du monde.
En cela, Jean d’Amérique s’inscrit dans la tradition des grands poètes africains et ultramarins qu’il cite avec déférence et sincérité : Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor et bien d’autres encore. Il fait partie de cette lignée de grands réinventeurs de la poésie, des pourfendeurs d’une langue lisse et apprêtée. Il fait partie des orfèvres enfiévrés de la langue, des sculpteurs géniaux de cette nouvelle oralité poétique.
Mais Jean d’Amérique apporte également sa touche poétique personnelle, son grain de folie textuelle, son originalité propre. Ses textes denses, nourris au lait de la révolte, reflètent son foisonnement intérieur et disent, malgré la difficulté de vivre et la souffrance des opprimé·es la beauté ineffable du monde : "Certains jours, une promesse brise la glace, fragmentée l’aurore écume derrière la montagne... Sommes-nous des branches qui ne savent raconter le vent ?", écrit- il dans son magnifique recueil Quelques pays parmi mes plaintes.
Jean d’Amérique participera également à l’Académie des écrivain·es sur les droits humains à l’Université de Strasbourg, un projet qui se crée à l’occasion de Strasbourg Capitale Mondiale du Livre 2024. Cette académie se déroulera du 21 au 30 novembre et rassemblera neuf écrivains et écrivaines venu·es d’horizons divers, notamment d’Haïti, d’Ukraine, d’Argentine, d’Afrique, de Turquie, et d’Iran. Aux côtés d’Alberto Manguel, parrain de la labellisation, on retrouvera Claude Ber, Roja Chamankar, Hawad, Carole Mesrobian, Serge Pey, Pinar Selek et Luba Yakymtchouk. Leur mission collective : "Relier notre monde". Durant dix jours, les membres de l’Académie iront à la rencontre des publics dans divers lieux strasbourgeois à travers des conférences, des lectures, des performances accompagnées d’artistes.