La 6e édition du Festival associatif Entendez-voir s’est insérée tout naturellement dans les événements Lire notre Monde. Mais cette manifestation a aussi permis au public de découvrir toute la diversité du livre et de la lecture lorsque les supports sont adaptés aux différents handicaps.
Lectures au bout des doigts : les divers brailles d'aujourd'hui
Dans le calendrier des médiathèques de Strasbourg, je m’intéresse à l’événement de lectures de contes en braille "Des histoires au bout des doigts". Le jour J, j'arrive dans la salle de contes à demi plongée dans le noir pour y découvrir le musicien Achille Gwenn accompagnant par des percussions subtiles deux lectrices en braille dont je ne connais pas le nom.
Je reconnais parmi elles, celle qui m’a tant émue par sa lecture à haute voix le 23 avril à l’inauguration de l’année Strasbourg Capitale du Livre UNESCO 2024. Elle, c’est Leïla Boubazine, référente de l’association Vue (d’) ensemble, l’association des malvoyants, non-voyants et voyants, qui organise le Festival Entendez-voir. Leïla parcourt les pages en papier pour en décoder le braille. L’autre lectrice non-voyante, c’est Cathie Furst, bibliothécaire et animatrice culturelle au pôle accessibilité de la médiathèque André Malraux à Strasbourg.
Elle s’accompagne d’un curieux instrument, comme une espèce d’épinette des Vosges (selon ma culture limitée en la matière). En fait, m’explique-t-elle, Il s’agit d’un bloc-note braille, un appareil électronique qui présente au fur et à mesure de la lecture des picots en braille et n’affiche qu’une seule ligne de texte.
Ce type d’appareil léger et sophistiqué peut travailler en braille ou en vocal et permet de multiples opérations : prendre des notes, se connecter à Internet pour lire des pages web, des vidéos Youtube, des fichiers multimédia, écouter la radio, envoyer des mails, poster sur les réseaux sociaux, tenir un agenda, un carnet d'adresses, et bien d'autres fonctionnalités. C’est littéralement un petit ordinateur portable avec toutes les fonctions utiles pour une personne non-voyante.
Cathie m’explique la différence entre le braille à 8 points ou braille informatique, et le braille standard à 6 points qu'on utilise dans les livres sur papier et qui se décline en braille intégral ou en braille abrégé. Cependant, nuance-t-elle, seules 10% des personnes non-voyantes maîtrisent le braille, les formats audios étant prépondérants actuellement.
Une médiathèque numérique adaptée à "l'exception handicap au droit d'auteur"
Quelques jours plus tard, parmi les stands du festival Place Kléber, j’aurai l’occasion de rencontrer Céline Witschard de l’association Plein Accès Suisse.
Elle précise que beaucoup de personnes deviennent malvoyantes au cours de leur vie et que plus de 80% des personnes malvoyantes ou non voyantes sont âgées de 50 ans et plus et qu’il est difficile d’acquérir des notions de braille sur le tard.
L’accès à l’apprentissage pour les personnes jeunes et malvoyantes, comme l’accès aux livres scolaires dans les sciences, avec une difficulté particulière liée à la lecture des formules mathématiques, est un défi important, mais ce n’est pas le public majoritaire pour des livres adaptés, car les jeunes apprenants sont minoritaires parmi la minorité de personnes atteintes d’un handicap visuel dans la société.
Un des paris de MonaLira, la médiathèque numérique adaptée fondée récemment par Plein Accès, est donc de mettre à disposition en ligne à toute personne empêchée de lire, des milliers de livres adaptés, dont des titres récents.
Mais comment est-ce possible d’un point de vue du droit d’auteur ?
La plateforme de transfert des ouvrages numériques Platon de la Bibliothèque nationale de France met à disposition des organismes habilités, des fichiers numériques des livres originaux.
Ces fichiers, dans le cadre de "l'exception handicap au droit d'auteur", peuvent alors être adaptés en format braille, audio Daisy, syllabique couleur, vidéo Langue des signes, etc… selon le handicap, sans demander d’autorisation aux ayants droit ni à les rémunérer. À l’inverse, la base Platon répertorie tous les livres adaptés disponibles.
FALC, Full Daisy, Tact-illustrés, LSF filmé, Opendys : l’univers des Faciles à lire
Que l’on soit atteint de déficience visuelle, auditive, physique, intellectuelle, ou de dyslexie ou autre trouble dys, on peut donc trouver dans les médiathèques, à télécharger ou en rayon, la bonne adaptation d’un livre en audio, audio + texte synchronisé, braille numérique, grands caractères, coloration syllabique, FALC et FAL, LSF filmé…
Mais à quoi correspondent toutes ces adaptations ?
La rencontre professionnelle du 6 juin sur l’accès à la lecture pour enfant en situation de handicap au très bel espace Nootoos, nous avait déjà permis de décrypter ces appellations que le grand public connaît peu.
Ainsi FAL désigne les livres dits "faciles à lire" et FALC "faciles à lire et à comprendre". La coloration syllabique segmente les mots et les phrases, facilitant ainsi la compréhension.
LSF filmé désigne des vidéos d’une personne exprimant en langage des signes le texte d’un livre.
Les livres audio sont bien connus, mais les livres audios + texte synchronisé permettent de mieux comprendre un texte en doublant les approches. Concrètement, les livres Daisy audio voix humaine sont lus par des bénévoles, alors que les Full Daisy voix de synthèse sont lus par une voix synthétique.
Ces dernières contiennent la version audio du livre plus le texte, dont l'affichage en grands caractères à l’écran est synchronisé avec le son. Ces lecteurs de table ou de poche offrent des fonctionnalités de lecture avancées comme la reprise à l'endroit où l'on s'était arrêté. Les adaptations de livres en braille numérique sont des fichiers informatiques qui peuvent être lus par un bloc-note braille comme celui de Cathie que j’ai vu à la médiathèque Malraux.
Comprendre les troubles du langage et du spectre autistique par la pratique
Dans 2 ateliers participatifs à Nootoos, Virginie Brivady, Chargée de projet Édition Jeunesse Accessible à l’association lilloise Signes de sens, et Émilie Florence, Psychologue au Pôle enfants/ ados du Centre de Ressources Autisme Alsace, nous familiarisent avec la façon dont s’expriment les troubles du langage écrit (dyslexie, dysorthographie et dysgraphie) et les troubles du spectre de l’autisme (TSA) et la réponse recherchée en matière d’adaptation des livres.
Un exercice, ici une dictée rapide avec notre main inhabituelle, nous met tout de suite dans le bain pour comprendre ce que vivent quotidiennement les enfants "dys" confrontés à l’exécution d’une double tâche, celle de comprendre et celle d’écrire, lorsque la tâche primaire d’écriture n’est pas bien maîtrisée. Leur lenteur à pouvoir écrire les empêchent de mener à bien simultanément les tâches de compréhension et provoquent une fatigue énorme. Confusion des lettres, problèmes de déchiffrage, mélange des lignes, difficultés de compréhension… : autant de concepts sur un tableau que Virginie va approfondir pour nous. Ainsi, nous apprenons que le texte d’un livre, où le bas des lettres apparaît plus épais, correspond à l’usage d’une police de caractère de type "Opendys" qui permet d’éviter la confusion de lettres aux formes proches telles que "d,b,q,p".
Des livres qui facilitent la lecture
Des livres syllabiques et faciles à lire
Les livres syllabiques, dont les mots sont bicolores ou multicolores, distinguent chaque syllabe à l’intérieur d’un mot grâce à des couleurs contrastées pour proposer une aide visuelle au déchiffrage.
Les lignes colorées en alternance servent de réglette de lecture pour guider les yeux et éviter le mélange des lignes en cours de lecture.
Les pictogrammes ou la présentation de chacun des personnages en début de livre facilitent le repérage des éléments dans le texte et la compréhension de l’histoire. Les livres avec des gros caractères agrandis sont destinés à apporter un meilleur confort visuel lors de la lecture et conviennent aux enfants avec déficience visuelle et aux enfants dys.
D’une manière générale, l’adaptation d’un texte avec une présentation aérée, un récit plus simple, le choix d’une police sans empattement, un bon espacement des lettres, des mots et des interlignes, rendent la lecture plus accessible.
Souvent associés à un texte en braille, les livres tactiles sont "Tact-illustrés" avec des matières et des textures diverses pour découvrir l’image par le biais du toucher.
Les livres faciles à lire et à comprendre (FALC) bénéficient d’une adaptation de la mise en page, de la syntaxe et du vocabulaire pour qu’un enfant avec un faible niveau de lecture puisse trouver des livres appropriés à son âge et à ses centres d’intérêt.
Des histoires ou des comptines signées, c’est-à-dire racontées en langue des signes, sont disponibles sur différents supports : des albums avec texte et signes dessinés ou photographiés, ou avec images, et un complément sur support numérique présentant l’histoire en langue des signes ou en mime.
Quant aux albums sans texte, ils permettent à l’enfant de développer son imaginaire pour la compréhension des histoires.
Des livres imagés
Dans l’atelier sur l’autisme, Émilie nous explique que les personnes autistes ont des difficultés à comprendre le langage oral et leur environnement mais qu’elles comprennent bien les indices visuels stables et concrets comme des mots écrits, des images, des photos, ou des objets. Elles ont à la fois besoin d’anticiper et de s’aider de visualisations. Les livres destinés aux enfants autistes s’appuient sur des images et un découpage séquentiel pour les accompagner dans les étapes de leur vie quotidienne et permettre une bonne compréhension des interactions et de l’entourage ainsi qu’à gérer leurs émotions.
Le monde de l’édition de livres adaptés, qu’ils soient en papier ou en numérique, offre donc toute une palette de présentations spécifiques à chaque handicap pour accéder à l’univers de la lecture et du livre.
La recommandation pour les médiathèques est de veiller à avoir dans son fonds au moins 2 types d’adaptations représentés par famille de handicap et de trier les livres par type d’adaptation.