Rencontres littéraires avec Fatou Diome

19 mai 2024
Livre Fatou Diome

La semaine inaugurale s'est terminée en beauté avec l'ouverture exceptionnelle des médiathèques le dimanche 28 avril ! À cette occasion, Philomène Milolo-odimba a pu assister aux grands entretiens et partir à la rencontre de Fatou Diome, marraine du programme Lire notre monde.

Le plateau précédent touche à sa fin avec les mots qui prennent aux tripes, ceux de Pinar Seleck. Elle traduit le propos d'une auteure et poète afghane, réfugiée aux Pays-Bas, sur la littérature de la résistance : "la démocratie dépend de l'acte d'écrire. Mais la cruauté d'un régime dictatorial peut conduire les écrivains à la prison, l'exil, la mort. Pour éviter ces maux, certains trouvent une parade : au lieu d'écrire un livre, ils font le choix d'une chanson pour exprimer leur opposition", conclut-elle. Difficile de rester insensible ou de ne pas être bouleversée par les personnalités de ce groupe. "La liberté a un prix et un côté dangereux aussi".

Annoncée, Fatou Diome accélère son entrée. Avant de prendre place, elle esquisse quelques pas de danse en chantant. Fatou, une danseuse ? Oh, que non ! Fatou est tout simplement "heureuse" de retrouver son public. Contrairement à la chanson de la révolte ou de la résistance, celle de Fatou est une façon rythmée et exaltée de faire plaisir, de saluer dignement ceux et celles qui la lisent et sont venu·es l'écouter. Sa parole est attendue sur la colonisation, l'esclavage, la déconstruction des stéréotypes de l'immigration, les désillusions et les difficultés des immigrés…, Fatou fait autrement, elle préfère se plier au jeu des questions-réponses. Elle est libre. D'emblée, elle prévient : "on attend toujours que je fasse de la décolonisation. Ne m'enfermez pas dans une prison mentale, laissez-moi tranquille. Il n'y a rien à attendre de moi, je suis libre". C'est le fil conducteur de son œuvre, le goût assumé pour la liberté. Elle s'affirme clairement en tant qu'une "insoumise absolue". Elle écrit parce qu'elle ne peut pas vivre sans. L'écriture est une jouissance, une revanche, une nécessité. Elle le démontrera, sans ambages, tout au long de l'exercice dont quelques passages pertinents (selon nous) sont retranscrits ci-dessous :

Grand entretien Fatou Diome

- Pourquoi êtes-vous marraine de Strasbourg, Capitale mondiale du livre UNESCO 2024 ?

"Ce n’est ne pas comme si j'avais le choix. Prenons les choses en sens inverse. C'est Strasbourg qui me marraine. J'aime Strasbourg, ma Ville. L'amour se prouve par des actes. Pour prouver mon attachement à Strasbourg, je ne dois pas seulement le dire, je dois le faire. Ma belle-mère, la sorcière alsacienne est partie, la cathédrale et la Ville restent. La Ville est tellement belle et pleine des gens sympas."

"Le visage qu'on retrouve n'est pas toujours celui qu'on attend."

Fatou Diome

- Dans Le ventre de l'Atlantique, Salie, la narratrice, est pleine de ferveur et de talent, on ne peut s'empêcher de se demander quelle est la part autobiographique et celle de fiction dans ce roman ? Vous semblez avoir la même histoire ?

"Salie vient du verbe salir. C'est moi qui suis salie et j'ai toute une vie pour me laver". Salie est née au Sénégal, puis elle est venue s'installer en France. L’écriture de Fatou se nourrit de son vécu, de ses observations. Le livre est inspiré des traumatismes subis dans sa vraie vie. Le besoin de rétablir la vérité l'incite à écarter les personnes négatives entravant sa quête personnelle. 

"C'est ça aussi, la beauté de l'écriture : pour votre liberté et votre dignité, vous pouvez assassiner tous les gens que vous n’aimez pas sur votre passage, il n'y aura pas d'enterrement". Ainsi, l'écriture a des vertus thérapeutiques : "ça m'empêche d'aller voir un psy". C'est de l'exorcisme, une expérimentation, la liberté d'expression. "Écrire c'est respiré, c'est mon bol d'oxygène". Sa passion pour l'écriture la tient éveillée les nuits. Dans le silence et la solitude, "la nuit, on n'a pas peur de sa propre folie". L'essentiel, c'est de ranger son "chaos intérieur".

- Vos lectures de jeunesse ont-elles eu une influence sur vous ?

"La lecture de tous les bons livres est comme une conversation avec les plus grands esprits". Fatou Diome a lu Balzac, Victor Hugo, G. Flaubert, Proust… et a relu Marguerite Yourcenar. Si elle est d'accord avec Proust pour dire que "la vraie vie..., c'est la littérature", en Marguerite Yourcenar surtout, elle admire "sa grande érudition et sa précision stylistique." Mais "je me permets d'être moi, je ne suis pas plus complète ailleurs que dans un livre".

- Un mot préféré ou fétiche ?

Fraternité ! La population française est pluriculturelle et le dénominateur commun est la devise républicaine : liberté, égalité, fraternité. C'est important pour tous ceux qui viennent de différentes cultures. Les deux premiers mots n'ont de sens qu'en pensant profondément au troisième. Il faut mettre en avant l'appartenance collective à la nationalité française. Et c'est sur "la base de la fraternité" qu'Anne-Marie invite les participant.es à être, ensemble, sur la dernière photo de "cette folle semaine". Il y a une affluence record à la médiathèque André Malraux pour un dimanche. Un moment aussi émouvant que l'entrée au Palais de la musique et des congrès le 23 avril. 

Grands entretiens Fatou Diome

La scène est immortalisée. La photo est très colorée. Décidément, il n'y a que Lire notre monde et sa diversité extraordinaire qui peuvent nous l’offrir. La grande qualité du projet et son ambition s'inscrivent pleinement dans les objectifs de l'UNESCO.

Philomène Milolo-odimba