En passant une commande de création d’un caractère typographique à Benjamin Blaess, Julien Priez, et Mathieu Reguer, Strasbourg Capitale mondiale du livre Unesco 2024 offre un Azimut à tout un chacun.
la nouvelle typographie au rythme de Strasbourg
Une nouvelle page d’histoire de la cité dans laquelle œuvra Gutenberg s’écrit pour les années à venir. Trois forgeurs de lettres ont réuni leurs talents pour composer une typographie originale et forte en caractère et gratuite pour tout un chacun. Six mois de travail ont été nécessaires pour dessiner et concevoir les trois styles d’Azimut, répondant à « la pulsation d’une ville surprenante, pleine de contrastes entre patrimoine fascinant et modernité architecturale », confie Benjamin Blaess, Alsacien installé à Paris où il a rencontré, voilà dix ans ses deux compères d’atelier Julien Priez et Mathieu Reguer.
C’est lui qui les a guidés à la découverte de Strasbourg. « Son côté multifacettes, entre musée à ciel ouvert et vivacité permanente, nous a sauté aux yeux », poursuit Mathieu. « Elle pulse d’énergie qu’on a essayé de concentrer dans notre travail pour représenter la ville et les diverses manières d’envisager le livre. » Pour la première fois, le trio partage un même projet, géré de manière horizontale, chacun intervenant à chacune des phases plutôt que de se répartir un style et de travailler dans son coin.

Un trio de styles
Azimut est une famille resserrée de caractères typographiques en trois styles puissants (romain, italique et gras) qui charrient à la fois un rapport au monde singulier et pluriel. Singulier par ses formes étonnantes pour le néophyte et pluriel par un habile mélange de radicalité qui le rend identifiable en un coup d’œil sans altérer son utilisabilité par le plus grand nombre.
« Il était important qu’elle [la typographie] ne nécessite pas de logiciel professionnel. Ainsi nos majuscules ont par exemple une chasse (largeur) identique, facilitant la composition », confie Mathieu. Ces contraintes choisies ont aiguillonné la créativité et poussé à utiliser une modularité des formes.
« Si vous regardez le début en haut à gauche du « a » minuscule en romain, vous voyez un rectangle qu’on retrouve aussi en italique et en gras dans de nombreuses lettres. Autant de détails lui conférant un vrai caractère », explique Benjamin.

Des usages précis et complémentaires
L’intuition de départ était que Lire notre monde se doublait de l’idée de l’écrire et de le construire. D’où l’ambition de créer un Azimut qui réunisse et régisse un rapport ouvert et englobant du monde, des gens et de la typographie, pensée dans toutes ses dimensions : non seulement comme texte, mais aussi comme une image et une manière de composer entre formes et vides.
Le romain – un caractère de lecture pour lire notre monde – est large et robuste, agréable et plein de finesse dans ses pleins et ses rondeurs. L’italique – pour écrire notre monde – joue des codes du geste manuscrit et de sa vitesse. Plus étroit, il est nerveux et joliment aérien. Enfin, le gras s’amuse littéralement à construire notre monde avec son assemblage de formes géométrique rappelant les jeux et les dessins d’enfants.
Son architecture massive faite de formes et contre-formes emboitées en fait presque une image en soi, se détournant d’une lettre à la fonction unique de représentation et assumant d’être à la limite de la lisibilité : au-delà de se lire, elle se contemple comme une forme dans laquelle plonger avec délice.

« Le résultat est à la hauteur de notre investissement et même surprenant pour nous, car jamais cette famille de styles n’aurait été la même si nous avions travaillé seuls ou de manière plus cloisonnée. L’entremêlement de nos esthétiques est inextricable, au point qu’on ne saurait plus dire, au final, ce qui vient de l’un ou de l’autre », s’amuse le trio.
Des horizons pluriels
Depuis la finalisation d’Azimut fin 2024, ils trépignent d’impatience, attendant avec joie de découvrir comment le grand public et les professionnel·les vont s’emparer de leur création. « Notre typographie ne doit pas rester un fichier dans un ordinateur », insiste Julien. « On espère qu’il ouvrira un accès à des textes et servira la créativité de chacun·e. » Ils ont posé la première pierre en conviant l’auteur Yoann Thommerel « en résidence » dans leur typographie.
À partir de spécimens en cours de finalisation, il a composé, directement en utilisant la police Azimut, un texte poétique. « C’est un peu comme s’il mettait en scène directement sa poésie avec Azimut », développe Mathieu. « Notre manière de faire se croiser des mondes avec l’espoir que les graphistes découvriront de la littérature en rentrant par la typo et que celles et ceux qui se fichent de la forme des caractères mais aiment ses textes se laisseront happer par la famille que nous avons inventée. »

Ce livre à paraître se complète d’un texte plus didactique, commandé à Dan Reynolds, historien de la typographie et enseignant-chercheur basé en Allemagne. Il replace Azimut et sa genèse dans les évolutions du genre. L’ensemble a été maquetté par Clémence Michon, graphiste spécialisée dans le design du livre, ajoutant son regard et sa patte sur les propositions initiales de Yoann Thommerel.
Des lectures et des ateliers devraient aussi voir le jour au printemps. Leur rêve étant que, lors de la semaine de clôture de l’année de labellisation et du passage de témoin à Rio de Janeiro pour 2025, des artistes brésilien·nes s’en emparent et aient envie de l’utiliser dans la ville Carioca.
11 avril, 18h30 au cinéma Le Cosmos : Lancement d'Azimut, le nouveau caractère typographique de Strasbourg.